Il y a dix ans, jour pour jour, le 11 juin 2015, s’éteignait Simon Bazimenyera Zigama. Une disparition discrète, mais le souvenir d’un homme profondément enraciné dans la terre et les cœurs demeure vivace dans le Masisi, à Nyakariba, à Nyamitaba, à Butare, à Goma… Là où il a vécu, travaillé, élevé ses enfants, et surtout, incarné la figure rare d’un homme de paix et de projets dans une région souvent meurtrie par les conflits.
Pour beaucoup, il est resté « Mwenesimoni », fils de Simon, comme aiment à l’appeler les intimes dans leur langue maternelle.
Mais pour ses enfants et ceux qui l’ont connu, il fut bien plus : un gestionnaire rigoureux, un commerçant intuitif, un père attentionné, un agriculteur-organisateur, un éleveur pragmatique, un éducateur du quotidien, et surtout un homme qui croyait en la force du travail et de la vérité silencieuse.
Né dans une famille polygame, marqué dès l’enfance par la perte de sa mère, Simon grandit dans l’école de la vie, dans les champs de son père. Il n’était encore qu’un jeune homme quand il a compris que sa survie et celle des siens passerait par l’apprentissage, la discipline et le travail. Après une scolarité interrompue à la 5e primaire, il se forme à la comptabilité au centre rural de Birambizo, dans un programme de développement communautaire qui va forger sa vision : être utile à la collectivité.
Cette vision, il la mettra en pratique dès 1974, lorsqu’il est nommé gérant de la cantine paroissiale de Nyakariba, en remplacement de M. Léonidas Kakira Habiyambere. Ce poste, il l’occupera pendant 37 ans, jusqu’à sa mort, avec une intégrité sans faille. Simon gérait les stocks, organisait les achats (allant jusqu’à Kinshasa avec le Frère Victor et M. Constantin Sakindi dans les années 80), négociait avec les fournisseurs, servait les prêtres, mais aussi les plus pauvres. Il ne vendait que ce qui était nécessaire. Il ne profitait pas de la pénurie. Il ne spéculait pas. Il servait.
Mais au-delà de la gestion, Simon était un homme de la terre. Il investissait dans l’agriculture et l’élevage : un petit pâturage avec une trentaine de vaches, 25 moutons, la production mensuelle de vin de banane (Kasiksi) équivalente à 800 litres, des fromages artisanaux, des briques fabriquées en famille… Il a transmis à ses enfants non seulement un savoir-faire, mais une culture du travail, du respect de la nature et de la responsabilité. Les vacances chez lui n’étaient pas des congés, mais des écoles de vie : apprendre à traire, garder les bêtes, brasser le vin, se battre contre les oiseaux avec des lance pierres, jouer au Tarzan dans les brousses, parfois au prix de quelques égratignures non déclarées. Il voulait des enfants autonomes, enracinés, vivants.
Durant les nombreuses guerres qui ont ravagé le Nord-Kivu de la guerre Kanyarwanda (1960-65) à celle de 1996, en passant par les épisodes de 1993, 1998 ou encore 2007 Simon est resté droit. Il n’a jamais tenu de propos haineux. Jamais pris les armes. Jamais jugé. Toutes les ethnies du Masisi le respectaient. Les Hunde comme les Hutu, les chefs coutumiers comme les simples villageois. Sa maison était un refuge, son regard une protection. Il a été, sans doute, un artisan de paix à sa manière, un médiateur silencieux qui faisait honneur à l’humanité.
Même dans l’épreuve, Simon ne s’est pas trahi. À la fin des années 80, après avoir acquis une camionnette Daihatsu pour son commerce à Nyamitaba, il fait face à des difficultés financières. Il vendra une partie de ses biens : ses vaches, deux maisons, cinq hectares de terres. La famille connaîtra alors des années de pauvreté. Mais il tiendra bon. Avec son fils jumeau, il nourrira la famille avec 100 dollars par mois. Il recommencera presque de zéro à Goma, après l’exil forcé de 2007. C’est là, malgré lui, qu’il s’installera définitivement, achetant une petite parcelle non loin de la paroisse Saint François-Xavier de Ndosho, grâce à la lucidité de sa fille Eugénie.
Car Simon n’a jamais cessé de penser à sa famille. Père de 11 enfants, il a tout donné pour leur avenir. Il les a nourris, éduqués, protégés. Il a soutenu chacun, sans juger. Même malade, il travaillait pour eux. Il disait : « Tous les enfants sont égaux ». Ses filles, il les a traitées comme ses fils, bien avant que la loi sur la parité ne soit promulguée en RDC. Son fils devenu prêtre témoigne encore aujourd’hui de ce soutien inconditionnel, de ce père qui envoyait des t-shirts depuis Goma, qui se contentait de son repas pour mieux nourrir le plus jeune à table, qui gardait toujours un morceau pour l’autre. L’amour chrétien, incarné.

Au fil des années, Simon a tissé des relations profondes avec des figures de la région : Constantin Sakindi, Pascal Nzavuga, Athanase Mapfumo, Semahane Kiba, Nicolas Kalinda… Certains sont devenus des amis, d’autres des filleuls, beaucoup des témoins de sa générosité. La princesse Rita Mubuya Kalinda, aujourd’hui mariée, garde en mémoire l’homme qui fut parrain de son baptême, et qui a su semer l’amour à travers des gestes simples, comme offrir un pagne, une chèvre, une caisse de bière lors de son mariage.
Simon Bazimenyera Zigama ne laisse pas derrière lui un testament écrit, ni une fortune monumentale, ni une fondation à son nom. Il laisse bien plus : un exemple. Un modèle d’intégrité, de travail, de patience, de foi, d’amour. Il laisse à ses enfants une semence. À sa communauté, un souvenir précieux. À son époque, une leçon.
Comme le dit si justement l’écrivain Marek Halter :
« …il y eut des individus pour nous permettre de ne pas désespérer de l’humanité. Il est urgent de comprendre cette conscience du Bien, telle que ces êtres l’ont manifestée au péril de leur vie. »
Simon était de ceux-là. À jamais dans les cœurs.