Lundi 10 juin 2024, la ville de Goma est en effervescence sous un ciel clair. Les activités économiques se déroulent normalement, avec les opérateurs économiques s’efforçant de faire parvenir leurs marchandises aux différents points de vente en ville et dans les territoires. Cependant, une déclaration fracassante des transporteurs empruntant l’axe routier Goma-Masisi-Walikale vient perturber cette dynamique.
Le responsable des associations de transporteurs de cet axe, Coatrarmad, annonce la suspension de toutes les activités sur ce tronçon suite à l’insécurité et les tracasseries multiples.
« Au vu de la dégradation quotidienne de la situation des affaires sur l’axe routier Goma-Masisi-Walikale, due à la multiplicité des taxes et aux intimidations de la part des belligérants et des agents de l’État, ainsi qu’au déficit causé par ces taxes illégales sur nos activités, nous sommes au regret de vous annoncer la suspension de toutes nos activités pour une période de deux mois. Nous attendons que l’autorité provinciale prenne des mesures adéquates contre ces pratiques », déclare Gervais Kibando.
La route Goma-Masisi-Walikale est cruciale pour l’acheminement des vivres et non-vivres dans les trois entités.
Alors que la guerre du M23 asphyxie déjà la ville de Goma, l’arrêt des activités de transport rendra la vie encore plus difficile pour ses 2 millions d’habitants et aggravera une situation humanitaire déjà précaire. L’approvisionnement en nourriture, déjà entravé par les combats, pourrait devenir encore plus difficile, portant préjudice aux ménages vivant dans la précarité.
Seulement 24 heures après la mesure des transporteurs de Masisi, ceux de Rutshuru, Beni et Butembo suivent le même chemin avec des revendications similaires. Ils accusent les rebelles du M23, les Wazalendo et les FARDC d’imposer des taxes exorbitantes dans les zones sous leur contrôle.
Tandis que ce feuilleton est loin d’être clos, une association de dépositaire et vente de produits vivriers, ADEVEVI, brise également le silence face aux tracasseries dont ses membres sont victimes de la part de services n’ayant pas compétence dans le secteur agroalimentaire.
Le responsable de cette association fait une révélation choquante en citant les renseignements militaires et l’Observatoire pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption dans leurs affaires. Cette structure menace également de fermer ses dépôts de vivres en signe de protestation.
« Nous souffrons énormément ici. Comment comprendre que les renseignements militaires peuvent s’impliquer dans une question liée aux sacs de pommes de terre ? Est-ce qu’un rebelle peut se cacher dans un tel sac ? Aujourd’hui, c’est la DEMIAP, demain, ce sera aussi l’OBLC qui viendra faire payer ses redevances. Dans quel état sommes-nous finalement ? » s’interroge Oscar Bizimana, membre du comité d’ADEVEVI.

Pour les citoyens lambda, cette menace de l’ADEVEVI n’est pas à prendre à la légère. Fermer les dépôts de vivres équivaut à un suicide communautaire.
Face à ces agissements et exaspéré par les différentes plaintes des commerçants et des opérateurs miniers dans sa juridiction concernant les tracasseries et extorsions, le gouverneur militaire réagit.
Dans une correspondance adressée au procureur général près la cour d’appel du Nord-Kivu, le Général major Peter Chirimwami dénonce à son tour ces pratiques. Sans détours, il révèle que même les magistrats sont impliqués dans ces actes répréhensibles, d’où un rappel à l’ordre.
« Tout en vous félicitant pour votre contribution et votre implication, ainsi que celle de tous les chefs de services qui me lisent en copie, dans la répression de la criminalité en général et dans la lutte contre les atteintes à la sûreté de l’État en particulier, je voudrais vous inviter à exécuter vos missions dans la légalité, le respect de la vie et de la dignité humaine, surtout à éviter les tracasseries et les arrestations arbitraires, » peut-on lire dans la correspondance.
Sur le terrain, le désordre créé par les combats entre les forces loyalistes et les rebelles du M23 permet à chaque partie de tirer profit de cette guerre. Face à une justice malade et au nom de la recherche des moyens de subsistance pour chaque partie, la loi semble être bafouée, laissant chacun agir à sa guise pour éviter de créer de nouveaux frustrés comme c’est le cas du M23.
Bien que la correspondance du gouverneur ait mis en lumière la profondeur du mal sur la voie publique, elle permet néanmoins aux opérateurs dans divers secteurs de pousser un soupir de soulagement dans les zones encore contrôlées par les forces loyalistes.
Si et seulement si la justice n’est pas transparente au Nord-Kivu, il n’est pas exclu que le procureur général de la cour d’appel du Nord-Kivu fasse preuve de grandeur en initiant des enquêtes pour dénicher par exemple ces magistrats véreux se cachant derrière les lois de la république pour inventer des infractions dans le but de nuire aux opérateurs économiques, déjà déboussolés par les effets de la crise sécuritaire qui dure depuis deux ans au Nord-Kivu.